La Division et l’esprit “Colonisable” (Explication de sourate Al Houjourât)

« Ô vous qui avez cru! Qu’un groupe ne se raille pas d’un autre groupe : ceux-ci sont peut-être meilleurs qu’eux. Et que des femmes ne se raillent pas d’autres femmes: celles-ci sont peut-être meilleures qu’elles. Ne vous dénigrez pas et ne vous lancez pas mutuellement des sobriquets (injurieux). Quel vilain mot que «perversion» lorsqu’on a déjà la foi.(4) Et quiconque ne se repent pas… Ceux-là sont les injustes. Ô vous qui avez cru! Evitez de trop conjecturer [sur autrui] car une partie des conjectures est péché. Et n’espionnez pas; et ne médisez pas les uns des autres. L’un de vous aimerait-il manger la chair de son frère mort? (Non!) vous en aurez horreur. Et craignez Allah. Car Allah est Grand Accueillant au repentir, Très Miséricordieux.»

Saisis dans toute leur subtilité, ces versets sont un électrochoc sur les consciences des musulmans éveillés à la profondeur du discours coranique car ils diagnostiquent les réelles causes de la désintégration d’une communauté ! Passées les causes apparentes présentées dans les versets précédents, le déroulement de ces versets s’apparente à un diagnostic chirurgical des causes véritables et profondes du délitement du lien social de la communauté musulmane.

Dès la première lecture, se dresse un premier constat saisissant : aucune des six causes exposées ici ne relève d’une force exogène ! Par ailleurs, fidèlement à la noblesse du style coranique et à la hauteur de son propos, ces versets mettent l’accent sur l’essence et la finalité du sujet traité, à savoir, la désunion et relègue apparences et conjectures au second plan .

Bien qu’il soit évident qu’un paramètre externe influe indiscutablement sur ce phénomène avec pour autre objectif que de déchirer et d’anéantir le lien fraternel essentiel unissant les musulmans, ces « forces exogènes » n’en n’ont pas moins d’impact que par ce qu’elles exploitent un ensemble de prédisposition mentales de la Oumma ayant assimilé sa division et sa défaite, entretenant son impuissance et justifiant son incapacité.

Comme l’énonce, le sinistre Machiavel : « Divide et impera », « divise et règne ».

La règle veut que la division ne soit pas le fruit d’un accident mais le résultat de l’exploitation de tensions sociales latentes, véhiculées et attisées par un tiers inscris délibérément dans cette tactique du « diviser pour mieux régner ». Bien connue dans le domaine des sciences politique et économique, le but est de cultiver l’amertume, nourrir les attitudes négatives et le vice afin de semer la discorde et opposer les éléments d’un tout pour finalement les affaiblir et les assujettir à son propre pouvoir d’influence. Cela permet de réduire des concentrations de pouvoir en éléments isolés disposant, dès lors, par définition de moins de puissance que celui qui met en œuvre cette stratégie de la division et qui permet alors à ce dernier de régner sur une population quand bien même celle-ci, si elle était unie, ne saurait être mise en échec par un tel agent dont le pouvoir ne pourrait se maintenir, ni même s’installer.

Depuis l’adage admis de tous selon lequel « l’union fait la force » aux constats sans appel des historiens qui se sont penchés sur la chute des empires et l’étude du déclin des civilisations, il est communément convenu qu’une nation ou une civilisation n’est pas tant défaite par des agressions extérieures que par la perte de sa cohésion interne (luttes intestines, schismes religieux, disparition de l’esprit collectif, cassure de l’unité nationale…). Lorsque les liens qui unissent les membres d’une communauté se relâchent, ceux-ci perdent le sens collectif et se démobilisent des tâches d’intérêt général. D’ailleurs, ce n’est que là où le sens du collectif existe, qu’il est possible de parler de communauté à juste de titre. Là où il n’existe pas, la communauté n’existe pas et il est, dès lors, impossible de parler de dynamique de développement pour la Oumma !

Pour mieux cerner ce phénomène, il convient de mettre en relief un processus historique dont il ne saurait être fait l’impasse sous peine de perdre de vue l’essence et la finalité des choses et de s’inscrire ainsi dans la trompeuse apparence et l’improductive superficialité. Comme énoncé ci-avant, ce processus historique de désagrégation d’une communauté n’a pas pour point de départ les attaques extérieures mais bien les maladies internes qui rongent déjà cette communauté. Paradoxalement, ce sont d’ailleurs, dans une certaine mesure, ces mêmes attaques extérieures, sommet des dissensions internes, qui se révèlent finalement externalités positives dans le processus d’évolution sociale de la société malade devenue « colonisable ». En effet, l’être aliéné et colonisable ne prend conscience de son aliénation ainsi que de l’état de sa communauté qu’une fois colonisé… Il se trouve alors dans l’obligation de se « désaliéné », de devenir « in-colonisable » et sous ce prisme d’analyse que se comprennent d’autant plus les rapports de force en tant que « nécessité historique ».
Les versets qui nous préoccupent présentement sont donc une dissection de l’état des relations sociales, de la qualité des rapports entre les individus, de la pathologie sociale paralysant toute dynamique sociale.

Quand bien même une civilisation arbore encore l’apparence de la prospérité, la voilà en réalité déjà convalescente et finalement malade alors que son réseau de relations sociales se révèle atteint et infecté par la dissension à la manière dont le virus HIV atteint le système immunitaire de l’homme apparemment en bonne santé. La maladie sociale à cette particularité sournoise de ne pas frapper les personnes mais les rapports qui les lient : le « moi » des individus s’hypertrophie et l’individualisme se retourne contre le corps social. Les individus deviennent réfractaires à la règle, au groupe, à la contrainte sociale et se comportent sans égard pour le bien public ou l’intérêt commun, chacun s’efforçant d’arracher ce qu’il peut à la collectivité. Dans ces conditions, l’action concertée devient rapidement difficile ou impossible. Le groupe, la Oumma se meurt alors à petit feu.

C’est au titre de ce principe fondateur d’union qu’il est impossible d’envisager qu’un véritable disciple du Prophète, paix et bénédiction d’Allah sur lui, s’engage dans des « politiques » de destruction personnelle et communautaire. Plutôt que chercher à détruire et à offenser son frère, un véritable croyant s’efforce de le renforcer et de le valoriser. Dans sa relation à ses frère, le véritable croyant se doit de revêtir  l’habit de la fraternité tel une seconde peau nourrie des sentiments de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience.

Supportez-vous les uns les autres et si l’un à sujet de se plaindre de l’autre, pardon et excuse sont principes et mots d’ordres conformément au verset : 

{ وَلَا تَسْتَوِي الْحَسَنَةُ وَلَا السَّيِّئَةُ ۚ ادْفَعْ بِالَّتِي هِيَ أَحْسَنُ فَإِذَا الَّذِي بَيْنَكَ وَبَيْنَهُ عَدَاوَةٌ كَأَنَّهُ وَلِيٌّ حَمِيمٌ * وَمَا يُلَقَّاهَا إِلَّا الَّذِينَ صَبَرُوا وَمَا يُلَقَّاهَا إِلَّا ذُو حَظٍّ عَظِيمٍ }

« Repousse le mal par ce qui est meilleur ; et voilà que celui avec qui tu avais une animosité devient tel un ami chaleureux » (Sourate al Fussilat – verset 34).

On interrogea Anas ibn Malik, qu’Allah l’agrée, au sujet de ce verset et il dit :
« C’est un homme qui lorsque son frère l’insulte dit : « Si tu dis vrai, qu’Allah me pardonne, et si tu mens, qu’Allah te pardonne. »

L’existence de l’union et d’une réelle unité au sein de toute communauté est conditionnée par l’existence et l’entretien de ces valeurs morales et éthiques dans le coeur de chacun des membres qui la compose comme cela est mentionné dans la tradition rapportée par Al boukhari et Mouslim, qu’Allah leur fasse miséricorde:

» مَثَلُ الْمُؤْمِنِينَ فِي تَوَادِّهِمْ وَتَرَاحُمِهِمْ وَتَعَاطُفِهِمْ مَثَلُ الْجَسَدِ؛ إِذَا اشْتَكَى مِنْهُ عُضْوٌ تَدَاعَى لَهُ سَائِرُ الْجَسَدِ بِالسَّهَرِ وَالْحُمَّى «

Les croyants dans leur amour, leur miséricorde et leur compassion sont à l’exemple d’un seul corps, si l’un de ses membre se plaint, l’ensemble du corps sera touché par l’insomnie et la fièvre. »

Lors de la bataille d’al-Yarmouk, un certain nombre de musulmans furent grièvement blessés. Al-Harith ibn Hichem demanda à boire. Lorsqu’on lui apporta de l’eau, il vit ‘Ikrima ibn Abou Jahl et dit alors : « Donne-la à Ikrima ». Lorsque ‘Ikrima prit l’eau, il vit ‘Ayyash ibn Abi Rabi’a, il dit alors : « Donne-la à ‘Ayyash ». A son tour ‘Ayyash dit : « Donne-la à al-Harith ». Avant que l’eau ne parvienne à al-Harith, ce dernier mourut. ‘Ikrima mourut également avant que l’eau ne lui parviennent de même que ‘Ayyash. Les trois moururent par altruisme et fraternité, qu’Allah sois satisfait d’eux et leur fasse miséricorde.

Au même titre que la réforme saine et profonde de l’individu, l’Islam est venu réformer et bâtir la société saine. Or, la société saine que l’islam est venu construire est, avant tout, fondée sur la fraternité musulmane. L’option n’est pas ouverte et le choix ne se propose pas : les croyants ne peuvent être que frères les uns des autres. Ainsi, si cette fraternité n’est pas ressentie, ni concrétisée, c’est leur foi qu’ils se doivent de questionner car cette fraternité est telle un thermomètre de la foi. Le croyant est le frère du croyant, le musulman, le frère du musulman, ne pas ressentir pleinement cette fraternité c’est constater, de fait, une brèche dans sa foi. Il est alors impératif de prendre garde à ce qu’elle ne soit une faille et qu’elle ne lézarde pas la foi jusqu’à la rendre défaillante…

Les imams al Boukhari et Mouslim, qu’Allah leur fasse miséricorde, rapportent d’après Anas Ibn Malik, qu’Allah l’agrée, que le Prophète, Paix et bénédiction d’Allah sur lui, a dit:

» لا يُؤمِنُ أحدُكم حتى يُحِبَّ لأخيه ما يُحِبُّ لنَفْسِه «

Aucun de vous ne sera croyant jusqu’à ce qu’il aime pour son frère ce qu’il aime pour lui-même. »

Par conséquent, le véritable croyant n’aime pas pour son frère ce qu’il n’aimerait pas pour lui-même. Ainsi, si tu aimes la richesse pour toi-même, aime la pour ton frère. Si tu aimes le savoir pour toi-même, aime le pour ton frère. De même, si tu n’aimes pas l’échec pour toi-même ni pour les tiens, ne l’aime pas pour ton frère ni pour les siens. Si tu n’aimes pas la médisance à ton encontre, ne l’aime pas à l’encontre de ton frère. Si tu n’aimes qu’on dévoile tes défauts, ne dévoile pas ceux de ton frère. Si tu ne le peux pas encore, attache-toi alors au degré inférieur de la fraternité qui est le fait d’avoir un cœur sain vis-à-vis de ton frère,  un cœur pur dépourvu de toute animosité, de toute jalousie et de toute rancœur.

Après un demi-siècle d’indépendance suite à la période coloniale, quel est le bilan du monde musulman ? De mal en pis.

En effet, beaucoup de peuples qui se sont libérés du colonialisme au cours du dernier siècle ont vu leur état empirer et régresser, s’enfoncer dans l’anarchie, la guerre civile et autres querelles tribales. Face à l’ennemi occidental, ils ont pu s’unifier et agir de concert mais sitôt celui-ci parti ce fut le retour à la division, à la corruption, aux coups d’Etat… La «colonisabilité» a alors pris un nouveau visage, plus sournois et pernicieux, avançant à peine masquée sous les traits du sous-développement, de la dépendance extérieure, de l’endettement, de l’incapacité à se prendre en charge et de l’humiliante tutelle d’un colon dont ils se sont libérés sans s’en affranchir, continuant d’entretenir indéfiniment les dispositions mentales du colonisé (division, intérêt individuel sur le collectif, individualisme…).

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